Contrairement à l’accoutumée, billet réaction. Je viens de lire les commentaires du dernier édito de PC INpact, notamment ceux attaquant les utilisateurs « imbéciles » de logiciels propriétaires, inconscients de tous les problèmes que pose leur fermeture. Je hais Apple, ce n’est un secret pour personne. Je hais les logiques propriétaires et le mouvement actuel d’intégration de l’internaute (désormais « utilisateur », voire simplement « client ») dans des écosystèmes clos ou aux droits d’entrées absurdes, comme Twitter.
Pourtant, j’utilise tous les jours, et par choix, des logiciels propriétaires que j’estime bien meilleurs que les logiciels libres. Je suis amoureux de la philosophie libr(ist)e mais encore trop bête, ou simplement trop fainéant, pour que ma philosophie soit entièrement suivie d’actes. Revue de ce qui me pose un dilemme moral au quotidien.
Sur l’Internet : clouds privés et efficacité
Avocat d’un Internet ouvert, que je défends et pour lequel je m’engage dès que l’occasion se présente, j’utilise tout de même Chrome (Chromium sur Linux, quand même), avec lequel je navigue sans remords. J’aime Firefox (enfin la Mozilla Suite au début), mais sa lenteur – réelle – et les nombreux problèmes de Flash (oui…) me font préférer le concurrent.
Côté webapps, j’utilise donc TweetDeck pour Chrome, en attendant une version pour le web ouvert. J’ajoute régulièrement des applications et jeux, dans des versions artificiellement limitées au navigateur de Google. Je m’enferme chez eux, dans tous leurs services, parce que naïvement persuadé que je peux m’en échapper.
Je râle souvent sur le développement d’applications natives pour des systèmes d’exploitation mobiles qui privent leurs utilisateurs de leurs libertés, mettant en avant tout ce que je peux trouver de bon dans les sites pour mobiles. Pourtant, je préfère toujours utiliser les applications natives Android, comme Twitter ou Gmail, malheureusement plus réussies que leurs équivalents webapps.
Je pleure l’absence de webmail aussi pratique et innovant que Gmail, qui me permettrait de réellement posséder mes emails. Pourtant, je n’utilise pas Roundcube sur mon serveur, mais bien des comptes Gmail parce que son intégration aux services de Mountain View et les fonctions en Labs m’ont rendu accro.
Soyez chics, adoptez un panda roux.
Je souhaite une alternative à Google docs, adopté partout où j’ai la (plus ou moins grande) chance de travailler. Pourtant je ne me trouverai jamais le courage de motiver des gens pour développer une alternative libre. J’ai aussi très peu d’espoir quant à un LibreOffice en ligne.
Je m’énerve de voir le développement des réseaux sociaux libres comme Diaspora patauger. Je m’enquiers auprès du développeur du prometteur 6D des avancées de son travail. Pourtant, je reste bien sur Facebook et Google+, où tous mes amis et ex-collègues sont, conscient que rien de tout ce que j’y écris n’est privé, malgré toutes les louanges que je peux leur chanter.
Pour le microblogging, j’aimerais pouvoir passer à un service Identi.ca ou Thimbl, mais mes sources d’information sont bien sur Twitter, dont j’abhorre la politique autour de son API, privilégiant certains services à des formats standards et tuant tout ce qui fait concurrence à ses fonctions natives. Twitter, Facebook et Google+ ont en plus le mérite d’être intégrés à tous les systèmes que j’utilise, Android en tête. La logique du « one-click » tue toute envie de chercher plus loin.
J’ai un grand respect pour le travail dément qu’accomplit l’équipe de l’hébergeur associatif Toile-Libre, qui ont hébergé mes sites pendant un an. Pourtant, j’en suis parti pour revenir à OVH, ses serveurs toujours performants (dans mon cas) et son utilisation ultra conventionnelle d’Apache. Toile-Libre a lui fait l’excellent choix de Lighttpd, très peu aimé par…
… WordPress, CMS Open Source dominant, de plus en plus lié aux services fermés de son créateur, Automattic, que j’utilise pour l’ensemble de mes sites. Pourtant, je pourrais lui préférer un Dotclear plus respectueux des standards et des utilisateurs, sans perdre beaucoup de fonctionnalités, mais je persiste, et signe en installant la dernière nouveauté fermée, Jetpack, sur mes blogs.
Je pourrais confier les statistiques de mes blogs à Piwik, le système libre performant, mais préfère WordPress.com et Google Analytics, par praticité et par peur de surcharger inutilement ma petite base de données web.
Bureau et mobile : compatibilité et consommation
J’adore Linux. J’ai commencé sur une Fedora Core 2 quand Windows XP me hérissait le poil. J’ai toujours la dernière version d’Ubuntu sur mes PC. Quand les limitations grandissantes de l’OS de Canonical m’ennuient, je me tourne vers Linux Mint, Fedora, openSuse, voire Debian lui-même. Pourtant, je reviens toujours à Ubuntu et, depuis un an, je loue les qualités d’Unity face à un Gnome 3 auquel j’ai toujours du mal à me faire. Trahison plus grave, tous mes PC sont en dual boot avec Windows 7, que j’estime toujours inégalé en termes d’autonomie et d’ergonomie sur PC. Vous avez bien lu. Le système qui accueille les logiciels dont j’ai le plus besoin au quotidien, mes jeux… Tant que je ne pourrai pas créer sur Linux comme sur Windows, point de salut.
Je teste toutes les suites bureautiques libres à portée de main (LibreOffice, Goffice, Koffice, Abiword…) et pourtant j’en reviens toujours à Office. Oui, Office, avec ses rubans, ses formats fermés et surtout ses fonctions pratiques, son correcteur grammatical, son interface réellement ergonomique et surtout son absence de bogues gênants. Un logiciel propriétaire qui m’évite, contrairement à OpenOffice Writer en son temps, de perdre des nuits à combattre des alignements de texte défaillants, des notes de bas de page stressantes et des recherches longues de fonctions dans un sous-menu obscur. Quand il est question d’écrire du document de 100 pages, ça compte. Et je ne parle pas des autres logiciels de la suite… Je cherche toujours un équivalent libre aussi efficace.
Pour le blog, Ubuntu suffit.
Je défends la liberté offerte par Android, conscient des problèmes de l’écosystème Google et de ses partenaires. Je promeus au mieux toutes les initiatives libres autour. Je suis profondément admiratif du travail sur Replicant et des développements web et natifs libres qui profitent à l’OS. J’utilise tant que possible des ROM non-officielles, débarassées de bien des pollutions. Pourtant j’aime utiliser Android 3.x, Honeycomb (pour tablette), dont on sait pertinemment qu’il ne sera jamais Open Source.
J’achète régulièrement des applications et jeux sur l’Android Market et Steam (pour plus de 300 euros sur ce dernier depuis quatre ans), avec pour les deux des déboires réguliers avec des validations de licence ou l’impossibilité de jouer en hors-ligne. Pourtant, je les trouve toujours très bien conçus, sécurisants… L’envie d’être bercé. Concernant Steam, je préfèrerais acheter tous mes jeux sans DRM sur Good Old Games ou des équivalents mais, sincèrement, soit leur catalogue est trop limité, soit leur politique commerciale est risible comparée à celle de Valve. Et oui, mouton je suis.
J’adore Jamendo, j’y suis inscrit depuis 2005. J’y écoute pas mal d’artistes et l’application native Android est un favori. Mais je préfère toujours écouter de la musique commerciale sur Spotify, en payant pour, malgré toutes les limitations qui arrivent (intégration Facebook pressante que je refuse, perte du hors-connexion sur desktop, version Linux boguée…). En ce qui concerne mes chansons Jamendo, je les écoute désormais bien plus sur Google Music, directement intégré à l’application Musique de ma tablette. Oui, je suis faible pour confier toute ma vie musicale à des clouds privés. De même que toutes mes statistiques d’écoute sont sur Last.fm.
Je m’étonne tous les jours de ma capacité à m’enfermer. Je vis au quotidien dans mes contradictions. Ce qui me fournit une informatique perdue entre des choix conscients, menés par ma recherche du meilleur compromis entre pratique et libre. D’où mon prochain dilemme pour mon fournisseur d’accès Internet : aller chez le prétendument respectueux de la Neutralité OVH ou chez le plus respectable des FAI, French Data Network ? A vous de répondre.
Texte rédigé sur gedit, Ubuntu 11.10
Photos (CC) : Jack Black – Nacho Libre par Thommy Browne et Firefox / Red Panda par Tristan Nitot
